lundi 3 novembre 2008

Colloque de Poitiers - Matinée du 11 septembre


Résumés réalisés par Sylvie Joye

Jeudi 11 septembre – matinée

Présidence de François Dolbeau




Martin Heinzelmann – Institut Historique Allemand, Paris
Conférence plénière
Pouvoir et idéologie dans l’hagiographie mérovingienne
Dans cette communication, Martin Heinzelmann s’attache à la représentation du pouvoir du saint, de celui de l’évêque et de celui du souverain dans l’hagiographie depuis la fin de l’Antiquité jusqu’au VIIIe siècle. La période dite mérovingienne ne peut en effet être considérée de ce point de vue comme un tout homogène, et sa première constatation sur l’«hagiographie mérovingienne» vise à rappeler qu’il n’y a pas eu de coupure avec la période précédente, et que les hommes de la Gaule du très haut Moyen Âge lisaient des textes bien différents de ce que nous désignons par le terme d’« hagiographie mérovingienne ».
Saint Martin est exemplaire des saints tels qu’on les conçoit au début du haut Moyen Âge. Il est considéré comme un «ami de Dieu» et son manteau est capable de contenir le Roi du monde. Ainsi, Martin appartient à une élite de saints capables de faire intervenir Dieu. Il entretient également un lien privilégié avec le roi mérovingien.
Les saints du début de la période mérovingienne, tout comme la liturgie et l’écriture hagiographique de cette époque, doivent être étudiés en parallèle avec ceux des IVe et Ve siècles. Les termes de Majestas et de Potestates, par exemple, sont déjà utilisés. Les notions d’intercession et de clientèle (cf. domnus, patronus) servent déjà à qualifier les relations entre les saints martyrs et le peuple au IVe siècle : ils sont des avocats, des juges, purificateurs et protecteurs. Et, à la fin de ce siècle, ces pouvoirs des saints sont déjà pris en main par les ecclésiastiques, et en particulier les évêques : les reliques sont consignées dans l’église dont ils sont les représentants. L’instrumentalisation du martyr au bénéfice du territoire ou de l’institution ecclésiale est patente. Dès lors, ce fait influence beaucoup l’écriture hagiographique. Les rites sociaux profitent surtout aux évêques, un peu aux abbés et aux ascètes. Les martyrs et les saints orientaux semblent occuper la majeure partie dans les légendiers des débuts de l’époque mérovingienne.
À la fin de l’Antiquité et au début de la période mérovingienne, la théorie des deux Cités, céleste et terrestre, est omniprésente. Ainsi, les œuvres de Grégoire de Tours, qu’ils s’agissent de ses œuvres proprement hagiographiques ou de son œuvre historiographique font partie d’un tout, d’une histoire sainte qui fonctionne selon la logique des deux Cités. Chaque localité souhaite bénéficier de la protection d’un saint qui lui soit propre, et cela semble devenir une véritable nécessité croissante. Une petite moitié des évêques qui ont une Vie au VIe siècle ont réellement vécu au VIe siècle, les autres sont plus anciens. L’évêque jouit d’un pouvoir social et, dans l’idéal, il est censé diriger le peuple de la cité et ce pouvoir est mis en scène en opposition à d’autres pouvoirs. Les Actes des Martyrs dénoncent les mauvais empereurs. En revanche, le roi mérovingien n’est en général pas opposé aux évêques dans les Vies. Au contraire, il lui est associé dans la conduite du peuple chrétien sur terre, où l’Église a déjà installé la cité de Dieu. Les opposants de l’évêque sont d’autres potestates que le roi. Chez Grégoire de Tours, le roi est le partenaire obligé de la direction du peuple chrétien.
À partir de l’époque de Clotaire II et de son édit de 614, les changements sociaux influent sur l’hagiographie. On y constate un épanouissement de la noblesse, même si on ne peut parler d’autosanctification. Des Vies de saints évêques sont encore rédigées dans les endroits pour lesquels il manque encore un avocat céleste. Cependant, elles sont désormais rédigées par des moines. Les évêques perdent leur monopole spirituel dans la cité. La logique des deux Cités est délaissée avec le pragmatisme du VIIe siècle. Ceci constitue une différence fondamentale avec les œuvres de Grégoire de Tours. Ainsi, les miracles, ces actions exceptionnelles des amis de Dieu capables de faire progresser la cité terrestre, se raréfient dans les Vies. Les données concrètes, et en particulier politiques, se multiplient au contraire. À partir de la seconde moitié du VIIe siècle, on peut reconstituer la politique à partir de l’hagiographie, ce qui n’était pas du tout le cas au siècle précédent, où les évocations de la vie politique étaient très elliptiques et n’étaient présentes que si l’hagiographe pouvait en tirer une interprétation spirituelle. Désormais, la façon dont est présentée la Vie du saint dépend des options politiques du rédacteur, et échappe au moule des deux Cités : alors que les biographies antiques des martyrs présentaient la victoire de l’Église universelle sur le diable, les Vies de saints de la seconde moitié du VIIe siècle concernent essentiellement les intérêts du lieu où se trouve la tombe du saint. La représentation du pouvoir terrestre évolue : les moines, liés à la noblesse, sont désormais les principaux rédacteurs d’œuvres hagiographiques. Après une longue tradition théologique de dévalorisation des pouvoirs terrestres, ils valorisent le contexte politique et mettent en valeur l’image de la royauté chrétienne.
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Anne-Marie Helvétius – Université de Paris VIII
Hagiographie et formation des aristocrates dans le monde franc (VIIe-VIIIe siècle)
Cette communication ne s’attache pas tant à la façon dont est représentée l’éducation dans les œuvres hagiographiques (essentiellement la Vie de Didier de Cahors, celle de Colomban par Jonas de Bobbio, la Vie d’Éloi par Ouen, la Vie d’Arnoul de Metz, la Vie de Bathilde, la Vie de Wandrille) qu’au rôle qu’a pu jouer la lecture de ces œuvres dans la formation politique des élites. Anne-Marie Helvétius pense en effet que certaines des Vies rédigées à l’époque s’adressaient en effet prioritairement aux jeunes issus de ces élites destinés au service du roi et du royaume (rappel de l'article de P. Riché sur le palais).
Le choix des anecdotes destinées à décrire les bons comportements chrétiens aux lecteurs vise en effet ce public. Le modèle proposé est celui du jeune aristocrate laïc qui vit comme un moine à la cour du roi. Là aussi, l’idée d’un changement essentiel à l’époque de Clotaire II est évoquée. Anne-Marie Helvétius voit dans le thème du jeune saint ou de la jeune sainte guéri(e) des péchés de ses parents par le saint un rappel non seulement de la pénitence luxovienne, mais aussi de la situation nouvelle de 613. Après les guerres qui ont déchiré les tria regna, la paix doit être rétablie. L’idée de pénitence permet à ce sujet établir un parallèle entre le monachisme et l’exil politique. Le saint des VIIe-VIIIe siècles a d'ailleurs davantage pour vocation de faire perdre aux grands leur manque de finesse, leur rusticité, que de combattre le démon : leur inculquer les valeurs chrétiennes doit permettre le retour de la paix.
La vie monastique constituant le meilleur modèle de vie en commun, celle-ci est présentée comme le modèle de la vie menée par le groupe des jeunes nobles au palais. Un lien direct est de ce fait tissé entre le service du roi et le service de Dieu. Le retrait du monde et la vie monastiques sont présentés comme un choix assumé, comme dans la Vie de Bathilde ou celle d’Arnoul. Les deux ministères sont cependant bien difficiles à concilier. Certains saints refusent ainsi de se rendre auprès du souverain. En revanche, les images du roi et de Dieu se rejoignent au travers du thème de la justice. Par ailleurs, les moines et les moniales, par leurs prières ou leur médiation, agissent pour la résolution des conflits.
Cet argumentaire amène Anne-Marie Helvétius à s’interroger enfin sur les premières tentatives d’imposer la règle bénédictine dans les monastères francs. Peut-être cette volonté d’unification venait-elle du fait que la vie monastique était devenue un modèle pour la vie à la cour ? Les règles et les vertus monastiques ne valant pas seulement pour les moines, la diversité des règles apparaissait ainsi comme un facteur de troubles. Tenter d’imposer une règle unique pouvait donc a contrario apparaître comme un moyen de rassembler les grands autour de valeurs partagées.

Discussion
Les questions se concentrent tout d’abord sur les termes utilisés dans l’exposé. Martin Heinzelmann rappelle qu’on ne peut parler à l’époque mérovingienne d’une cour telle qu’on se la représente pour l’époque carolingienne. Le mot schola existe bien, mais bien souvent il désigne alors un endroit où œuvrent les monétaires. Certes, le terme de cour évoque une réalité administrative, mais il faut prendre en compte le fait que, physiquement, la cour est une réalité très différente de ce que l’on trouve à l’époque carolingienne.
Du point de vue des modèles bibliques, François Dolbeau demande si elle a trouvé dans ses sources le prototype de Daniel à la cour du roi, notamment dans l’évocation du jeûne, de la pénitence, et des visions, car se modèle est présent dans la suite du Moyen Âge. Anne-Marie Helvétius n’a pas trouvé ce modèle : la référence récurrente lui semble être Job.
François Dolbeau note également que l’exposé évoque très peu tout ce qui est antérieur à 614. Que pourrait-on avoir entre 500 et 600 sur ce même thème de l’éducation ? Anne-Marie Helvétius évoque le modèle épiscopal, qui ne disparaît d’ailleurs pas. La figure du rustre s’oppose à celle de l’évêque triomphant. Martin Heinzelmann rappelle que, depuis la fin du Ve siècle, ce n’est plus le modèle de la classe qui domine en matière d’éducation, mais celui du sage qui transmet son savoir à un jeune particulièrement doué. Cette relation personnelle peut être rapproché de l’importance du thème des « nourris ». Ce modèle prévaut jusqu’au changement qui intervient avec les Carolingiens.
Alain Dierkens constate que le contexte de 743/744 est un peu le même que celui qu’Anne-Marie Helvétius évoque à propos de la possible première tentative d’unification des règles monastiques selon le modèle bénédictin. Y a-t-il des citations de la règle bénédictine dans les textes liés aux Pippinides avant 743/744 ? Alain Dierkens pense qu’il y en a sans doute depuis le début du VIIIe siècle ? Cependant, il serait difficile de déterminer à quel moment ces extraits ont pu être placés dans les textes. François Dolbeau rappelle que cette recherche serait d’autant plus difficile qu’en réalité il y avait essentiellement des règles mixtes, qui empruntaient en partie à Benoît. : on ne peut voir à quelle règle sont pris les passages… Même la règle de Colomban fut en réalité un instrument de la règle bénédictine.
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Jean-Michel Picard – University College Dublin
Les hagiographes irlandais et le concept d’une nouvelle royauté en Irlande au VIIe siècle
Les études sur la royauté irlandaise avant l’époque anglo-normande ont dégagé un modèle différent de celui du continent, avec une multiplicité de royaume correspondant à celle des túath (plus d’une centaine, répartis en cinq provinces au haut Moyen Âge). Les informations livrées par les récits hagiographiques et annalistiques semblent par les écrits en gaélique des VIIe et VIIIe siècles semblent contradictoires sur cette fonction royale.
Si l’introduction du christianisme apparaît bien comme un facteur de changement important de la société à partir du Ve siècle, cette contradiction vient tout d’abord du modèle de royauté unique qui est présenté comme idéal par ces sources d’origine monastique, malgré la réalité de la multiplicité des royaumes irlandais. En plus de la dimension religieuse, cette évolution est due aussi au fait que ce modèle est élaboré dans les grands monastères liés à la famille royale qui a tendance à prendre le pas sur les autres, les Uí Néill de Tara.
L’expression Rex totius Hiberniae apparaît ainsi dans les annales d’Irlande à la fin du VIIe siècle, mais l’affirmation d’un imperium et d’une ordination royale est plus nette encore dans la Vie de Columba rédigée par Adomnán, abbé d’Iona issu de la famille des Uí Néill. Il ; n’évoque pas seulement l’idée d’une royauté unique (que l’on trouve déjà dans la Vie de saint Patrick) mais aussi celle d’une royauté de droit divin, totalement étrangère à la tradition irlandaise. La Vie de Columba met fortement en valeur le caractère divin et héréditaire de la royauté, en mettant notamment en scène une cérémonie de sacre avec imposition des mains et bénédiction, un ange apportant le livre de verre sur lequel est décrit le rituel à accomplir.
Bien qu’on ait en réalité fort peu de sources sur le sacre des rois irlandais, ces récits ont une influence sur la conception générale de la royauté en Irlande. Alors que jusque là le meurtre du roi entraînait le paiement d’une composition, il est désormais puni par la mort par l’eau, le bois, le feu. De même, ce sont certains péchés qui peuvent interdire l’accès au trône, alors qu’auparavant c’étaient les tares physiques. Surtout, l’obtention de cette royauté unique et chrétienne est devenu le but auxquels aspirent les quelques souverains qui réussissent à étendre par la force leur pouvoir sur la majeure partie de l’île.

Discussion
Jean-Michel Picard annonce qu’il prépare une édition critique et commentée de la Vie de sainte Brigitte.
La discussion porte sur le livre de verre apporté par l’ange, avec la description du couronnement. Est-il décrit comme un livre de verre à cause de son aspect divin.
Robert Halleux pense que l’usage du terme vitreus rend cette interprétation peu probable : le verre n’est pas considéré comme un matériau noble à ces époques, et le terme vitreus ne peu renvoyé au cristal, matière noble qui aurait été plus appropriée pour évoquer cet aspect. Ne pourrait-il pas s’agir de l’évocation d’un vitrail : on a retrouvé des fragments de vitraux mérovingiens près de Rouen qui portaient des inscriptions ?
François Dolbeau pense que ce livre fait sans doute référence au Livre de Vie, et est donc lié à l’Apocalypse.

Un compte-rendu du livre de M. J. Enright sur le problème de l'onction en Irlande et chez les Francs : http://mdzx.bib-bvb.de/francia/Blatt_bsb00016292,00266.html

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